In the second of a three part series of interviews, high school student Eve Zuckerman asks journalist Peter Gumbel what his new essay On Achève Bien Les Ecoliers, means for lycéens.
Reprinted with permission from L'Inébranlable, the newspaper of the Lycée Edouard Branly. (in French)
(Click for Part 1 and Part 3 in English from Paris Writers News)
L’essai On achève bien les écoliers, sorti début septembre et immédiatement passé sur la liste des best-sellers, cherche le pourquoi d’un système éducatif dont les résultats aux examens internationaux ne correspondent en rien au temps et aux efforts investis dedans.
Selon Le Monde, « l’auteur plaide avec chaleur pour plus d’empathie à l’égard de l’élève et nous exhorte à mettre fin à la tyrannie de la note et à l’humiliation dont souffrent les jeunes Français.»
Peter Gumbel, écrivain, journaliste anglais international et professeur à Sciences-Po, répond aux questions de L’Inébranlable sur ce qui appelle « la culture de la nullité » et sur d’autres problèmes du système éducatif français que l’on connaît tous en tant qu’élèves.
L’Inébranlable : Comment vous êtes-vous rendu compte d’un problème ? Par vos filles scolarisées en France ?
Peter Gumbel : C’était mon point de départ. Je n’ai pas écrit ce livre à cause de mes enfants, j’ai commencé à regarder l’école à cause de mes enfants. Ensuite, comme chaque étranger qui découvre les écoles françaises, j’ai très vite constaté qu’il y avait une culture complètement différente de ce que je connaissais. J’ai vécu dans beaucoup de pays, et cette culture, c’est vraiment une exception française.
Ce qui était aussi très important pour moi, c’étaient mes expériences en tant que prof. J’anime des cours à Sciences Po depuis quelques années. Là, on a l’élite de la France et j’ai constaté qu’ils sont extrêmement réticents à parler, à participer en cours et je me suis demandé pourquoi. Des études internationales montrent qu’en général, les élèves français sont beaucoup plus angoissés, beaucoup plus intimidés dans les salles de classe. La peur du hors sujet surtout est une peur terrifiante. La peur de se tromper est tellement forte qu’elle nous conditionne.
Cette année, j’ai animé un cours magistral avec 60 étudiants dont 45 Français et 15 non Français (Anglais, Russes, Brésiliens, Chinois). Je voulais absolument que les élèves participent au cours et sans problème, tous les étrangers ont commencé à parler. Les Français, absolument rien. J’ai insisté, j’ai insisté chaque fois et vers la fin quelques-uns ont participé. Ca m’a montré à quel point on est conditionné à fermer la gueule. C’est choquant. Pour moi ça va vraiment dans le mauvais sens. L’éducation c’est le moment de s’épanouir, de trouver l’appétit et l’envie de l’apprentissage. Etre angoissé, c’est le contraire.
Pourquoi ne jamais mettre de 20 ?
Dans mon livre je parle beaucoup du système de notation parce que ça me semble complètement absurde pour trois raisons :
- C’est totalement illisible. Si on a 12 sur 20 sur une copie qu’est ce que ça veut dire ? Ca dépend du prof. Si c’est un prof de philo assez dur, c’est une bonne note, si c’est un prof d’anglais plutôt généreux, c’est une mauvaise note. Donc c’est illisible.
- On note pour sélectionner plutôt que former. Dans beaucoup de pays l’idée de notes c’est aider les élèves à voir comment progresser Ici c’est la sélection. On veut créer une courbe gaussienne des élèves avec une toute petite minorité qui est assez bonne, beaucoup qui sont médiocres et le reste qui sont nuls. 20 sur 20 c’est pour Dieu, 19 c’est pour le prof, 18 c’est pour le pape et si on de la chance 17 c’est possible.
- C’est très nocif parce qu’on est incapable de dire « bravo tu as bien fait, c’est super, continue comme ça. » Pour des raisons compliquées, c’est impossible en France.
Quelles matières sont le plus touchées par cette manière d’enseigner ? Pourquoi ?
Il y a quand même la dictature des maths en France parce que les maths sont vraiment importants pour tout. Si on veut vraiment faire une bonne carrière, avoir un bon emploi il faut être matheux et si on n’est pas matheux, c’est horrible. La pression sur les maths est énorme. On constate dans les études internationales que les niveaux d’angoisse en ce qui concerne les maths sont beaucoup plus élevés que dans les autres pays. Donc les Français sont totalement angoissés par les maths, mais c’est généralisé, les sciences aussi. La philosophie, c’est presque caricatural de voir les notes et les consignes que les profs de philosophie donnent. La philosophie c’est extrêmement difficile. Là il faut avoir des profs qui aident les élèves à comprendre les sujets, à bien s’exprimer. Malheureusement, trop souvent on a un prof qui est très dur, qui dit toujours c’est hors-sujet, c’est hors-sujet.
Quels sont les avantages du système éducatif français ?
Ce qui est incontestable c’est que si on quitte l’école à la fin du secondaire, si on réussit à passer son bac, on sort de l’école avec une culture générale, un niveau d’éducation qui est quand même excellent. Si on regarde dans d’autres pays, surtout l’Angleterre et les Etats-Unis que je connais bien, on a un niveau beaucoup plus élevé quand dans ces pays-là. Avec cette culture générale aussi, il y une capacité d’analyse qui est importante. On a beaucoup bossé. Si on réussit en France il faut bosser énormément et ça déjà c’est pas mal. Mais les chiffres qui parlent du taux d’échec sont terrifiants; et donc évidemment il y a plein de jeunes qui ne suivent pas ou qui sont tellement cassés et humiliés par l’école qu’ils perdent complètement cet appétit pour l’apprentissage que je trouve extrêmement important.
Diriez-vous qu’écraser les élèves est devenu normal ?
Dans la salle de classe en France en tant que prof, on est l’autorité absolu, le pouvoir absolu. Peut-être que ça aussi ça influence les profs. Mais ceci dit, il y a aussi des profs qui sont excellents, donc je ne veux pas attaquer ou taper sur les profs en général. Tout le système est construit sur la base de la sélection par l’échec et c’est ça qu’il faut attaquer.
Quelle relation un élève qui passe déjà une grande partie de sa journée au lycée développe-t-il avec l’école ?
L’école en France, c’est uniquement la transmission des savoirs, ce n’est pas le développement personnel. C’est ça qu’il faut changer. Le programme national est extrêmement lourd mais aussi ennuyeux. Pourquoi cette obsession avec la grammaire ? La structure de la langue française, jusqu’à un certain point, ça a un sens mais répéter toutes les variations de la structure d’une phrase… C’est peut-être pour les gens qui veulent faire de la linguistique mais pas pour tout le monde. La même chose avec les maths, l’accent est tellement mis sur les maths. Où est passée la créativité dans les salles de classe ? Je ne sais pas. Est-ce qu’on a l’opportunité de s’exprimer, à l’écrit, à l’oral, d’essayer des choses, d’écrire un roman, des nouvelles…C’est aussi frappant de voir que dans d’autres pays on fait beaucoup plus que ça et en France, très peu.
En ce moment, les profs ne reçoivent que peu ou pas de formation. Quel est l’impact sur la classe ? Quelle formation devraient-ils recevoir ?
C’est complètement scandaleux que 16 000 profs ont commencé cette année sans formation du tout. La solution passe par une formation des profs qui est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus approfondie. Si on regarde les pays qui ont des systèmes éducatifs qui marchent bien, surtout la Finlande mais aussi la Corée du Sud, et d’autres pays, les profs sont toujours très bien formés, et formés non seulement dans les disciplines qu’ils enseignent mais aussi dans les méthodes pédagogiques.
J’ai visité la Finlande pour mon livre et j’ai parlé aux étudiants. C’est très difficile de devenir prof en Finlande : 1 sur 10 est pris. On fait 5 ans de formation avec énormément de simulations de la salle de classe, énormément de pratique, de stages et comme ça, au moment où on entre vraiment pour la première fois dans une salle de classe on est très bien préparé.
En plus, il y a une formation continue, permanente. En France, cet aspect de la formation pédagogique n’existe presque pas. Les Français devraient revoir toute la formation pédagogique des enseignants et insister sur une vraie formation et aussi élargir le concours.
Dans le sens qu’on prend les gagnants non seulement à cause de leurs capacités intellectuelles mais aussi de leur personnalité. Est-ce qu’ils ont la personnalité adaptée à enseigner ? C’est ce qu’on fait en Finlande. Vous êtes très très fort dans la matière et ensuite vous devez passer un oral de compétences humaines. S’ils sont motivés, si on changeait les critères, ça donnerait un peu de réflexion aux candidats. Est-ce que je suis doué pour ça ou est-ce que ce serait mieux de faire autre chose ?
Et les écoles privées ? Sont-elles la solution ?
Un grand atout du système français c’est que l’école est publique. Aux E-U, vous verrez que les inégalités sont terrifiantes là-bas. Les écoles privées coutent une fortune ; jusqu’à 30 000 dollars par an et les écoles publiques sont complètement abandonnées sans moyens financiers. Ce n’est pas du tout la solution. La structure de l’école en France avec ce côté très important, c’est un atout.
Que peuvent faire les élèves déjà dans le système pour éviter de se faire écraser ?
C’est impossible d’échapper au système de la notation que je trouve particulièrement néfaste. Mais il y a quand même des perspectives qui sont meilleures, surtout pour quelqu’un qui maintenant a 16 ans parce qu’avant on n’avait pas grand choix, c’était Terminale, classe prépa, grande école ou bac, fac, et échec. Maintenant grâce à l’ouverture internationale des grandes écoles, c’est beaucoup plus facile de construire une orientation qui va réussir.
C’est très important de quitter la France, d’aller faire des études en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis, dans n’importe quel pays pour ensuite revenir, et comme les grandes écoles ont toutes un programme d’ouverture, elles cherchent toutes des étudiants. Si on a fait un diplôme, une licence à l’étranger, comme un « bachelors », on peut facilement intégrer des grandes écoles. Ca a complètement changé depuis deux/trois ans.
En tant qu’élève dans un lycée, il faut encourager les profs à discuter des grands sujets que j’aborde comme la notation, et surtout ce que j’appelle la culture de la nullité, qui est néfaste et dangereuse selon moi.
Est-il trop tard pour que cette génération retrouve confiance en elle ?
J’insiste sur l’idée de partir, de faire quelque chose d’épanouissant. Je connais des étudiants qui sont passés de l’école française à la fac en Angleterre et qui sont profondément changés par cette expérience. Ce n’est vraiment pas trop tard. Si on veut vraiment changer, c’est beaucoup plus facile d’aller étudier à l’étranger qu’avant. Il faut saisir cette opportunité.
On achève bien les écoliers, Peter Gumbel
Aux éditions Grasset, 9 euros.